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Explorer La carrière disparue
Il y eut un jour une carrière imposante et lucrative en flanc de montagne. Jacques Lefort, son propriétaire, était fier de son entreprise. Les constructeurs de routes nationales et de résidences cossues appréciaient la dureté et la beauté de ses roches. Rien ne pouvait les attaquer. Des caravanes de camions chargés de roches sortaient du grand trou gris et portaient leurs trésors aux bâtisseurs du pays. Jacques Lefort fournissait à peine à la demande. Le soir venu, le soleil couchant transformait la parois rocheuse en rideau rose qui voilait pendant quelques heures les minéraux rares tant recherchés de la Carrière Lefort, ce joyau de l’industrie régionale.
Mais, avec les années, les gens qui habitaient près de la montagne ou qui roulaient sur les routes se mirent à se plaindre de cette affreuse plaie de leur montagne adorée. Son grand manteau vert était mis en pièces par un trou béant, son silence déchiré par les détonations de dynamite, la forêt étouffée par des nuages de poussière. La Carrière Lefort était une honte, un monument à la cupidité, un massacre de la nature au nom de l’argent. On réclamait qu’on cache cette horreur, qu’on le transforme en jardin. On regardait désormais Jacques Lefort de travers.
Jacques était surpris des réactions hostiles de ses concitoyens et se demandait quoi faire. Il ne pouvait pas fermer une carrière qui était la source de fierté de sa famille et qui répondait aux besoins des gens. Comment d’ailleurs cacher ce trou et maquiller cette paroi si détestée par les gens pendant que les travaux se poursuivaient ? Il décida de consulter. Le maire était du côté des citoyens, les constructeurs ne voulaient pas de changement, le pasteur trouvait qu’il était dans son droit de creuser le roc. Finalement c’est Alain, le boucher, qui alluma une belle chandelle dans le cerveau de Jacques.
Pendant que les paysagistes aménageaient l’ancienne carrière, les travailleurs de Jacques Lefort, s’inspirant des meilleures techniques minières, commençaient à creuser des couloirs et des galeries en dessous de la montagne, à poser des rails pour le train.
Dehors tout était enveloppé dans le silence de la nature, dans le ventre de la terre, les marteaux piqueurs mitraillaient et les explosions à la dynamite secouaient le roc, les éventails aspiraient la poussière fine du roc précieux. Le jardin de la carrière était magnifique avec ses massifs de fleurs, ses arbres exotiques, ses cascades et ses fontaines. C’était un coin de paradis pour grands et petits. On bénissait le génie de Jacques Lefort.
Loin sous la terre, Jacques et son équipe travaillaient infatigables pour extraire les trésors de roc quasi inépuisables. Pendant de longues années, les trains entraient vides et sortaient débordants des couloirs profonds et la construction de la région florissait. Jacques ne comptait plus les kilomètres de galeries sous la montagne, ses hommes creusaient et dynamitaient partout, tantôt plus bas quand ils se trouvaient sous une des vallées de la montagne, tantôt bien haut quand ils travaillaient sous un des sommets. Patiemment, ils évidaient la montagne, comme on vide un pot de confiture.
Une nuit d’été, au moment où le sommeil est à son plus profond, un grondement terrible a secoué les gens de la région. Depuis la montagne, un roulement de tonnerre comme d’un train qui file en folie a fracassé le silence de la nuit. La terre tremblait, les vitres éclataient. On n’entendait que sirènes et pleurs d’enfants effrayés. Un immense nuage de fumée cachait la lune et une poussière fine remplissait l’air. Puis, subitement le silence est revenu. Les nouvelles à la radio étaient pleines de contradictions. Il y avait eu une drôle d’explosion, mais pas de vrai tremblement de terre.
Quand le soleil s’est levé, les gens ont constaté à leur grande stupéfaction, que la montagne avait disparu. Elle s’était repliée sur elle-même comme un ballon crevé. Il ne restait qu’une étrange et inquiétante ruine verte striée de couloirs gris et d’escaliers effondrés. La forêt était pêle-mêle, comme une couverture faite d’arbres et de plantes brisés. Des oiseaux s’échappaient dans le ciel empoussiéré. La chère montagne avait disparu, un joyau était perdu à jamais. Heureusement que les flancs de montagne avec les résidences cossues étaient relativement intacts, sauf bien des murs fendus et des terrains saccagés. On ne comptait pas de victimes.
La surprise passée, les gens se mirent à trouver les coupables de ce désastre horrible. Tous pointaient le doigt vers Jacques Lefort. Il avait vidé la montagne comme on vide un œuf et tout s’était effondré. Le maire convoqua une conférence de presse pour calmer les esprits et annoncer des plans de restauration.
Les gens criaient leur colère et exigeaient un procès contre Lefort. Alors un vieil homme demanda la parole. Il s’est approché du micro :
La conférence de presse s’est terminée dans la cacophonie, sous une pluie d’excuses et d’accusations que personne ne voulait écouter.
L’étrange ruine verte de la belle montagne d’autrefois est devenue un haut lieu du tourisme. Les gens venaient partout admirer et pleurer ce drame étonnant. Les gens se demandent comment tout ça avait pu se produire. Une carrière avait cédé la place à une mine qui avait ensuite dévoré la montagne. Jadis, il y avait ici une plaie grise qui faisait rebondir, maintenant il y avait un trou étrange qui offrait plus de questions que de réponses.
Kees Vanderheyden
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Mais, avec les années, les gens qui habitaient près de la montagne ou qui roulaient sur les routes se mirent à se plaindre de cette affreuse plaie de leur montagne adorée. Son grand manteau vert était mis en pièces par un trou béant, son silence déchiré par les détonations de dynamite, la forêt étouffée par des nuages de poussière. La Carrière Lefort était une honte, un monument à la cupidité, un massacre de la nature au nom de l’argent. On réclamait qu’on cache cette horreur, qu’on le transforme en jardin. On regardait désormais Jacques Lefort de travers.
Jacques était surpris des réactions hostiles de ses concitoyens et se demandait quoi faire. Il ne pouvait pas fermer une carrière qui était la source de fierté de sa famille et qui répondait aux besoins des gens. Comment d’ailleurs cacher ce trou et maquiller cette paroi si détestée par les gens pendant que les travaux se poursuivaient ? Il décida de consulter. Le maire était du côté des citoyens, les constructeurs ne voulaient pas de changement, le pasteur trouvait qu’il était dans son droit de creuser le roc. Finalement c’est Alain, le boucher, qui alluma une belle chandelle dans le cerveau de Jacques.
- C’est simple Jacques, il faut faire oublier la carrière.
- Oublier la carrière, Alain ? Comment tu ferais ça ?
- Tu sais, Jacques, autrefois on faisait la boucherie à la ferme, les voisins entendaient hurler les cochons et ça les dérangeait. Il voulait manger du bon jambon, des rôtis, mais ils ne voulaient pas entendre les cris de mort des bêtes qu’on abattait. Alors, on a décidé de construire des abattoirs loin des gens, où tout se passait discrètement et l’on tuait bien plus de cochons qu’avant. On n’entendait plus de hurlements. On ne faisait qu’acheter du bon porc à l’épicerie. Toi aussi Jacques, cache tes affaires, fais le silence. Finies les critiques. Tout le monde sera heureux.
- Comment veux-tu, mon Alain, que je cache toute cette machinerie, comment faire des explosions silencieuses ?
- Jacques, as-tu déjà entendu parler de miner. Creuse en dessous de la terre, fais tes affaires sous la montagne, en cachette.
- Wow, Alain, des corridors de mine au lieu d’une carrière, quelle idée géniale !
- C’est génial !! cria bien fort le boucher Alain, caché dans la foule.
Pendant que les paysagistes aménageaient l’ancienne carrière, les travailleurs de Jacques Lefort, s’inspirant des meilleures techniques minières, commençaient à creuser des couloirs et des galeries en dessous de la montagne, à poser des rails pour le train.
Dehors tout était enveloppé dans le silence de la nature, dans le ventre de la terre, les marteaux piqueurs mitraillaient et les explosions à la dynamite secouaient le roc, les éventails aspiraient la poussière fine du roc précieux. Le jardin de la carrière était magnifique avec ses massifs de fleurs, ses arbres exotiques, ses cascades et ses fontaines. C’était un coin de paradis pour grands et petits. On bénissait le génie de Jacques Lefort.
Loin sous la terre, Jacques et son équipe travaillaient infatigables pour extraire les trésors de roc quasi inépuisables. Pendant de longues années, les trains entraient vides et sortaient débordants des couloirs profonds et la construction de la région florissait. Jacques ne comptait plus les kilomètres de galeries sous la montagne, ses hommes creusaient et dynamitaient partout, tantôt plus bas quand ils se trouvaient sous une des vallées de la montagne, tantôt bien haut quand ils travaillaient sous un des sommets. Patiemment, ils évidaient la montagne, comme on vide un pot de confiture.
Une nuit d’été, au moment où le sommeil est à son plus profond, un grondement terrible a secoué les gens de la région. Depuis la montagne, un roulement de tonnerre comme d’un train qui file en folie a fracassé le silence de la nuit. La terre tremblait, les vitres éclataient. On n’entendait que sirènes et pleurs d’enfants effrayés. Un immense nuage de fumée cachait la lune et une poussière fine remplissait l’air. Puis, subitement le silence est revenu. Les nouvelles à la radio étaient pleines de contradictions. Il y avait eu une drôle d’explosion, mais pas de vrai tremblement de terre.
Quand le soleil s’est levé, les gens ont constaté à leur grande stupéfaction, que la montagne avait disparu. Elle s’était repliée sur elle-même comme un ballon crevé. Il ne restait qu’une étrange et inquiétante ruine verte striée de couloirs gris et d’escaliers effondrés. La forêt était pêle-mêle, comme une couverture faite d’arbres et de plantes brisés. Des oiseaux s’échappaient dans le ciel empoussiéré. La chère montagne avait disparu, un joyau était perdu à jamais. Heureusement que les flancs de montagne avec les résidences cossues étaient relativement intacts, sauf bien des murs fendus et des terrains saccagés. On ne comptait pas de victimes.
La surprise passée, les gens se mirent à trouver les coupables de ce désastre horrible. Tous pointaient le doigt vers Jacques Lefort. Il avait vidé la montagne comme on vide un œuf et tout s’était effondré. Le maire convoqua une conférence de presse pour calmer les esprits et annoncer des plans de restauration.
- Chères citoyennes, chers citoyens. Notre montagne a disparu et la raison est simple et terrible, en creusant des dizaines de galeries et de corridors, la montagne a perdu son sous-sol et elle s’est effondrée. Nous trouverons les responsables et nous déterminerons les représailles appropriées. Tout semble indiqué que le principal responsable est Jacques Lefort qui a transformé sa carrière en mine. Nous vous ferons connaître nos plans bientôt. Soyez patients.
Les gens criaient leur colère et exigeaient un procès contre Lefort. Alors un vieil homme demanda la parole. Il s’est approché du micro :
- Pourquoi blâmez-vous le propriétaire de la mine ? Qui voulait cette pierre solide pour des routes et des maisons ? Jacques Lefort a bien travaillé. Pas une roche ne s’est perdue, vous en avez-vous probablement dans vos maisons. Mais vous vouliez simplement que ça ne paraisse pas, que notre montagne ait belle allure, sans sa cicatrice. Est-ce que les années de creusage sous la montagne sont si différentes de la pêche folle de nos océans, de l’abattage de millions de poulets et de cochons, de la disparition de nos forêts lointaines ? Vous vouliez le bon roc de la fameuse carrière, mais avec la différence que le travail devait se faire en cachette. Qui est responsable, Jacques qui vous offrait des roches ou vous qui en vouliez de plus en plus ?
La conférence de presse s’est terminée dans la cacophonie, sous une pluie d’excuses et d’accusations que personne ne voulait écouter.
L’étrange ruine verte de la belle montagne d’autrefois est devenue un haut lieu du tourisme. Les gens venaient partout admirer et pleurer ce drame étonnant. Les gens se demandent comment tout ça avait pu se produire. Une carrière avait cédé la place à une mine qui avait ensuite dévoré la montagne. Jadis, il y avait ici une plaie grise qui faisait rebondir, maintenant il y avait un trou étrange qui offrait plus de questions que de réponses.
Kees Vanderheyden
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