Explorer La vielle dame et l’ordi
Il y eut un jour une réception solennelle dans l’auditorium de l’Université Incredibilis. Une dizaine de chercheurs entourés des hautes autorités étaient assis à une longue table. Au milieu de la salle, on avait installé une petite table sur laquelle était posée deux cassettes de couleur or et un ordinateur. Tout près trônait un étrange présentoir qui s’écroulait sous une montagne de bottes de marche usées et de casquettes délavées. La salle était bondée d’invités de marque qui conversaient posément et regardaient avec admiration ou avec envie les experts qui brillaient en avant.
C’était, en effet, un jour de grande gloire et de soulagement pour les savants de l’université. Après dix ans de recherches et de promenades, l’équipe de dix avait réussi à faire l’inventaire complet de tout ce qui vit et bouge sur le mont Saint-Hilaire. Le tas de vieilles bottes témoignait des années d’escalade et de randonnée épuisantes sur les sentiers, sur les sommets et dans les creux les plus secrets de la forêt.
Beau temps, mauvais temps, le dix avaient marché, observé, examiné, ausculté, comparé, sondé, photographié, noté et décrit, les arbres, les arbustes, les plantes, les broussailles et le moindre brin d'herbe. Ils avaient dénombré et classé les oiseaux, enregistré les mammifères, tâté les grenouilles et les salamandres. Même les roches, les minéraux et le sol de la forêt avaient eu toute leur attention. Ils avaient ainsi découvert les forces, les faiblesses et les secrets de la montagne. Après 10 ans de recherche, ils avaient, pour ainsi dire, la montagne dans leurs poches, ou mieux dans leurs carnets et dans leurs collections de photos et de dessins.
Une fois cet inventaire terminé, ils avaient tout inscrit sur deux cassettes-mémoire couleur or qui allaient alimenter le super-ordinateur de l’institution, qui à son tour permettrait aux gens devant leur ordinateur d’y faire mille découvertes. Et voilà, les deux petites cassettes dorées au milieu de l’auditorium illustraient désormais tout ce que la montagne avait à livrer. Bientôt l’université offrirait cette merveille à qui la voulait.
Et, puisque l’Université Incredibilis avait le souci de servir les citoyens, les savants avaient créé un site-web impressionnant, intitulé “Beau Mont”. Toute personne pouvait y découvrir les richesses de la montagne, regarder les magnifiques photos des bêtes et des plantes et admirer les minéraux rares cachés dans son sol et écouter les chants des oiseaux. Quel boulot !!
Le chancelier de l’Université avait demandé le silence. Avec une fierté bien légitime, il avait félicité les 10 chercheurs - il y avait quatre chercheures parmi eux - pour leur travail formidable. Les invités avaient applaudi à tout rompre, quand il avait pointé son doigt vers l’ordinateur installé au milieu de la salle et qu’il avait prononcé la phrase devenue célèbre :
Les paroles du chancelier étaient de la musique aux oreilles des savants. Finies, enfin, les excursions épuisantes, les escalades, la sueur, le froid, les foulures, les éraflures, les sacs à dos lourds comme du plomb. Ils avaient capturé la montagne et l’avaient mise dans les entrailles d’un ordinateur, où tout le monde pouvait maintenant la visiter sans s’éreinter, en tout confort.
Le lendemain de la réception, les journaux offraient des articles élogieux sur le travail accompli et les savants défilaient devant les caméras de la télévision où ils expliquaient avec force détails les défis qu’ils avaient réussis à relever. Puis ils sont partis pour un congé bien mérité sur une île au soleil.
Pendant que les chercheurs bronzaient sur la plage, les gens se précipitaient vers leur ordinateur pour rendre visite au fameux site “Beau Mont”. Quelle merveille de science et de technique ! Tout était là. Sur un simple clic de la souris, on apprenait tout sur le Tangara écarlate et l’on pouvait écouter les coassements des grenouilles de la forêt et scruter les cristaux uniques au Mont Saint-Hilaire.
Comme le disait si bien la bannière sur la page d’accueil : “Désormais nous n’allons plus à la montagne, car la montagne vient vers nous”. Alors plus nécessaire de se fatiguer, se faire piquer par les maringouins, se faire arroser par la pluie ou de suer sous un soleil de plomb. Il suffisait de jouer sur le clavier de son ordi et, oh miracle ! ... la montagne était là dans le salon.
“Beau Mont” a fait un effet boeuf. Assis devant leurs ordinateurs, jeunes et vieux ont remplacé leurs bottes de marche par des pantoufles et leur montagne par l’écran de leur PC ou leur Mac.
Mais, entre-temps, faute de visiteurs, la montagne est devenue silencieuse. À la guérite du Centre de la Nature du Mont Saint-Hilaire, le gardien a commencé à s’ennuyer comme le gardien d’un cimetière. Le Pavillon des visiteurs est devenu vide comme une église et la collection de bâtons de marche s’est couverte de poussière. Même les écureuils s’étonnaient de ne plus voir d’autres randonneurs sur les sentiers, qu’une vieille dame seule.
Bernadette portait bien ses 80 ans et avait encore le pied solide. Elle venait à la montagne au moins trois fois par semaine pour y respirer l’air pur et contempler le lac entouré de collines vertes. Elle adorait aussi piquer des jasettes avec les visiteurs, car depuis qu’elle était veuve, c’était son seul contact avec les humains.
Quand Bernadette avait lu dans le journal les articles sur le travail des chercheurs, elle s’était dit “Eh, bien, les universitaires travaillent plus fort que je pensais”, mais elle trouvait la fameuse phrase sur “la montagne qui vient vers nous” un peu exagérée, jusqu’au jour où elle avait constaté à son grand désarroi, qu’elle rencontrait de moins en moins de visiteurs. C’était, sans doute, une bonne affaire pour les animaux, mais pour les humains perdre le contact avec la nature était un grand malheur.
Elle avait questionné Carole au Pavillon des visiteurs.
Elle avait décidé de ramener les gens à la montagne, un jour. Durant une de ses nuits blanches, la vieille dame indignée avait eu une idée audacieuse : faire taire l’ordinateur de l’Université. Bernadette avait donc décidé d’aller suivre des cours en informatique à l’Université Incredibilis. Le chemin allait être long et pénible, mais la montagne le méritait bien.
Tous les matins, elle avait pris l’autobus, ses livres rangés serrés dans une voiturette d’épicerie. En classe, les jeunes étudiants étaient surpris de voir cette vieille dame souriante et très attentive suivre les cours ardus en informatique. Elle jouait habilement du clavier et étudiait, l’oeil vif, les circuits des ordinateurs. Elle était studieuse et semblait particulièrement intéressée au magnifique projet, fort complexe, “Beau Mont”. Elle s’était d’ailleurs liée d’amitié avec un jeune garçon particulièrement futé qui l’aidait à faire ses travaux et à scruter les entrailles des ordinateurs.
Ainsi, après de longs mois d’efforts, de nombreuses questions et explications, Bernadette avait décidé qu’elle savait ce qu’il fallait savoir pour mettre à exécution son plan. La nuit de la Saint-Valentin, pendant que les amoureux roucoulaient, Bernadette s’était introduite discrètement dans la salle où ronronnait le superordinateur de l’Université. Elle tremblait d’excitation. Elle avait mis des gants pour ne pas laisser d’empreintes. Elle savait exactement quel panneau ouvrir, quel fil toucher, quelle cassette retirer. Après une heure de travail, l’ordinateur avait perdu une partie de son cerveau, celle qui emprisonnait la montagne, et le site “Beau Mont” était vide. Bernadette avait même pris soin de serrer les deux cassettes dans son panier à roulettes.
Pendant que Bernadette sommeillait satisfaite sur son banc dans l’autobus qui la ramenait à la maison, les téléphones ne cessaient de sonner à l’Université. Les chercheurs s’arrachaient les cheveux. Quel crime ! Qui avait volé le précieux trésor de la montagne ? Qui avait tué “Beau Mont”?
Au cours des semaines suivantes, la police cherchait le coupable et les chercheurs découragés répondaient aux questions des journalistes, mais les visiteurs sont tranquillement revenus à la montagne. Ils n’avaient pas le choix. Puisque la montagne ne venait plus vers eux, grâce à la magie de l’ordinateur, il fallait bien qu’ils aillent la visiter en personne. Le gardien de la guérite souriait de bonheur. Carole à l’accueil retrouvait le va-et-vient d’autrefois et la montagne résonnait de nouveau des voix humaines et des cris d’enfants.
Pour les visiteurs le retour n’était pas sans surprises. Ils avaient le pied moins ferme sur les sentiers raboteux qu’autrefois et le coeur pompait plus fort dans les montées. Mais l’air était pur et merveilleusement parfumé. La forêt était plus dense et plus chaotique que sur le site de “Beau Mont”, où tout était bien rangé et précis. Les oiseaux chantaient tous en même temps et l’on ne trouvait pas les chevreuils ou les tangaras au simple clic de la souris. Puis, les arbres et les fleurs n’étaient pas parfaits et bien dessinés comme sur les images de “Beau Mont”, mais on pouvait les toucher, les sentir et entendre le vent dans les feuilles. Et que dire de l’énergie que dégageait la montagne ?
Après quelques semaines de randonnées, les visiteurs ont trouvé que la montagne était finalement bien plus riche et plus vivante que sur l’écran de leur ordi et, en plus, on y était moins seul. Ils se demandaient si le voleur qui avait osé vider une partie du cerveau de l’ordinateur de l’Université Incredibilis n’avait pas rendu un fier service à l’humanité. Il avait mis les gens en contact avec la réalité.
Paraît-il qu’à l’Université les experts ont réussi, à leur grande joie, à restaurer le cerveau de “Beau Mont”. Par contre, la police n’a pas trouvé le coupable, mais selon le chef de police, c’était sûrement un de ces jeunes “hackers” vaniteux qui aiment faire souffrir l’humanité. Les étudiants en informatique avaient leurs soupçons car ils se rappelaient la vieille dame souriante qui avait cessé de suivre les cours.
Le site “Beau Mont” est toujours aussi riche en informations et les gens le consultent en grand nombre, mais les visiteurs qui ont retrouvé la montagne préfèrent l’air pur, la paix et le merveilleux chaos de la forêt au bel ordre de l’ordi.
La vielle Bernadette est radieuse et continue à arpenter les sentiers et à piquer des jasettes avec les visiteurs.
Si vous sentez que votre ordi vous rend prisonnier et vous attire trop vers le virtuel, allez donc chercher un peu de liberté et de vérité dans la nature. C’est une vieille dame “hacker” qui vous le conseille.
Kees Vanderheyden
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C’était, en effet, un jour de grande gloire et de soulagement pour les savants de l’université. Après dix ans de recherches et de promenades, l’équipe de dix avait réussi à faire l’inventaire complet de tout ce qui vit et bouge sur le mont Saint-Hilaire. Le tas de vieilles bottes témoignait des années d’escalade et de randonnée épuisantes sur les sentiers, sur les sommets et dans les creux les plus secrets de la forêt.
Beau temps, mauvais temps, le dix avaient marché, observé, examiné, ausculté, comparé, sondé, photographié, noté et décrit, les arbres, les arbustes, les plantes, les broussailles et le moindre brin d'herbe. Ils avaient dénombré et classé les oiseaux, enregistré les mammifères, tâté les grenouilles et les salamandres. Même les roches, les minéraux et le sol de la forêt avaient eu toute leur attention. Ils avaient ainsi découvert les forces, les faiblesses et les secrets de la montagne. Après 10 ans de recherche, ils avaient, pour ainsi dire, la montagne dans leurs poches, ou mieux dans leurs carnets et dans leurs collections de photos et de dessins.
Une fois cet inventaire terminé, ils avaient tout inscrit sur deux cassettes-mémoire couleur or qui allaient alimenter le super-ordinateur de l’institution, qui à son tour permettrait aux gens devant leur ordinateur d’y faire mille découvertes. Et voilà, les deux petites cassettes dorées au milieu de l’auditorium illustraient désormais tout ce que la montagne avait à livrer. Bientôt l’université offrirait cette merveille à qui la voulait.
Et, puisque l’Université Incredibilis avait le souci de servir les citoyens, les savants avaient créé un site-web impressionnant, intitulé “Beau Mont”. Toute personne pouvait y découvrir les richesses de la montagne, regarder les magnifiques photos des bêtes et des plantes et admirer les minéraux rares cachés dans son sol et écouter les chants des oiseaux. Quel boulot !!
Le chancelier de l’Université avait demandé le silence. Avec une fierté bien légitime, il avait félicité les 10 chercheurs - il y avait quatre chercheures parmi eux - pour leur travail formidable. Les invités avaient applaudi à tout rompre, quand il avait pointé son doigt vers l’ordinateur installé au milieu de la salle et qu’il avait prononcé la phrase devenue célèbre :
- Désormais, nous n’irons plus à la montagne, la montagne viendra vers nous”.
Les paroles du chancelier étaient de la musique aux oreilles des savants. Finies, enfin, les excursions épuisantes, les escalades, la sueur, le froid, les foulures, les éraflures, les sacs à dos lourds comme du plomb. Ils avaient capturé la montagne et l’avaient mise dans les entrailles d’un ordinateur, où tout le monde pouvait maintenant la visiter sans s’éreinter, en tout confort.
Le lendemain de la réception, les journaux offraient des articles élogieux sur le travail accompli et les savants défilaient devant les caméras de la télévision où ils expliquaient avec force détails les défis qu’ils avaient réussis à relever. Puis ils sont partis pour un congé bien mérité sur une île au soleil.
Pendant que les chercheurs bronzaient sur la plage, les gens se précipitaient vers leur ordinateur pour rendre visite au fameux site “Beau Mont”. Quelle merveille de science et de technique ! Tout était là. Sur un simple clic de la souris, on apprenait tout sur le Tangara écarlate et l’on pouvait écouter les coassements des grenouilles de la forêt et scruter les cristaux uniques au Mont Saint-Hilaire.
Comme le disait si bien la bannière sur la page d’accueil : “Désormais nous n’allons plus à la montagne, car la montagne vient vers nous”. Alors plus nécessaire de se fatiguer, se faire piquer par les maringouins, se faire arroser par la pluie ou de suer sous un soleil de plomb. Il suffisait de jouer sur le clavier de son ordi et, oh miracle ! ... la montagne était là dans le salon.
“Beau Mont” a fait un effet boeuf. Assis devant leurs ordinateurs, jeunes et vieux ont remplacé leurs bottes de marche par des pantoufles et leur montagne par l’écran de leur PC ou leur Mac.
Mais, entre-temps, faute de visiteurs, la montagne est devenue silencieuse. À la guérite du Centre de la Nature du Mont Saint-Hilaire, le gardien a commencé à s’ennuyer comme le gardien d’un cimetière. Le Pavillon des visiteurs est devenu vide comme une église et la collection de bâtons de marche s’est couverte de poussière. Même les écureuils s’étonnaient de ne plus voir d’autres randonneurs sur les sentiers, qu’une vieille dame seule.
Bernadette portait bien ses 80 ans et avait encore le pied solide. Elle venait à la montagne au moins trois fois par semaine pour y respirer l’air pur et contempler le lac entouré de collines vertes. Elle adorait aussi piquer des jasettes avec les visiteurs, car depuis qu’elle était veuve, c’était son seul contact avec les humains.
Quand Bernadette avait lu dans le journal les articles sur le travail des chercheurs, elle s’était dit “Eh, bien, les universitaires travaillent plus fort que je pensais”, mais elle trouvait la fameuse phrase sur “la montagne qui vient vers nous” un peu exagérée, jusqu’au jour où elle avait constaté à son grand désarroi, qu’elle rencontrait de moins en moins de visiteurs. C’était, sans doute, une bonne affaire pour les animaux, mais pour les humains perdre le contact avec la nature était un grand malheur.
Elle avait questionné Carole au Pavillon des visiteurs.
- Les gens visitent désormais la montagne sur leur ordinateur, car ils trouvent ça moins fatigant et moins cher, avait-elle expliqué.
Elle avait décidé de ramener les gens à la montagne, un jour. Durant une de ses nuits blanches, la vieille dame indignée avait eu une idée audacieuse : faire taire l’ordinateur de l’Université. Bernadette avait donc décidé d’aller suivre des cours en informatique à l’Université Incredibilis. Le chemin allait être long et pénible, mais la montagne le méritait bien.
Tous les matins, elle avait pris l’autobus, ses livres rangés serrés dans une voiturette d’épicerie. En classe, les jeunes étudiants étaient surpris de voir cette vieille dame souriante et très attentive suivre les cours ardus en informatique. Elle jouait habilement du clavier et étudiait, l’oeil vif, les circuits des ordinateurs. Elle était studieuse et semblait particulièrement intéressée au magnifique projet, fort complexe, “Beau Mont”. Elle s’était d’ailleurs liée d’amitié avec un jeune garçon particulièrement futé qui l’aidait à faire ses travaux et à scruter les entrailles des ordinateurs.
Ainsi, après de longs mois d’efforts, de nombreuses questions et explications, Bernadette avait décidé qu’elle savait ce qu’il fallait savoir pour mettre à exécution son plan. La nuit de la Saint-Valentin, pendant que les amoureux roucoulaient, Bernadette s’était introduite discrètement dans la salle où ronronnait le superordinateur de l’Université. Elle tremblait d’excitation. Elle avait mis des gants pour ne pas laisser d’empreintes. Elle savait exactement quel panneau ouvrir, quel fil toucher, quelle cassette retirer. Après une heure de travail, l’ordinateur avait perdu une partie de son cerveau, celle qui emprisonnait la montagne, et le site “Beau Mont” était vide. Bernadette avait même pris soin de serrer les deux cassettes dans son panier à roulettes.
Pendant que Bernadette sommeillait satisfaite sur son banc dans l’autobus qui la ramenait à la maison, les téléphones ne cessaient de sonner à l’Université. Les chercheurs s’arrachaient les cheveux. Quel crime ! Qui avait volé le précieux trésor de la montagne ? Qui avait tué “Beau Mont”?
Au cours des semaines suivantes, la police cherchait le coupable et les chercheurs découragés répondaient aux questions des journalistes, mais les visiteurs sont tranquillement revenus à la montagne. Ils n’avaient pas le choix. Puisque la montagne ne venait plus vers eux, grâce à la magie de l’ordinateur, il fallait bien qu’ils aillent la visiter en personne. Le gardien de la guérite souriait de bonheur. Carole à l’accueil retrouvait le va-et-vient d’autrefois et la montagne résonnait de nouveau des voix humaines et des cris d’enfants.
Pour les visiteurs le retour n’était pas sans surprises. Ils avaient le pied moins ferme sur les sentiers raboteux qu’autrefois et le coeur pompait plus fort dans les montées. Mais l’air était pur et merveilleusement parfumé. La forêt était plus dense et plus chaotique que sur le site de “Beau Mont”, où tout était bien rangé et précis. Les oiseaux chantaient tous en même temps et l’on ne trouvait pas les chevreuils ou les tangaras au simple clic de la souris. Puis, les arbres et les fleurs n’étaient pas parfaits et bien dessinés comme sur les images de “Beau Mont”, mais on pouvait les toucher, les sentir et entendre le vent dans les feuilles. Et que dire de l’énergie que dégageait la montagne ?
Après quelques semaines de randonnées, les visiteurs ont trouvé que la montagne était finalement bien plus riche et plus vivante que sur l’écran de leur ordi et, en plus, on y était moins seul. Ils se demandaient si le voleur qui avait osé vider une partie du cerveau de l’ordinateur de l’Université Incredibilis n’avait pas rendu un fier service à l’humanité. Il avait mis les gens en contact avec la réalité.
Paraît-il qu’à l’Université les experts ont réussi, à leur grande joie, à restaurer le cerveau de “Beau Mont”. Par contre, la police n’a pas trouvé le coupable, mais selon le chef de police, c’était sûrement un de ces jeunes “hackers” vaniteux qui aiment faire souffrir l’humanité. Les étudiants en informatique avaient leurs soupçons car ils se rappelaient la vieille dame souriante qui avait cessé de suivre les cours.
Le site “Beau Mont” est toujours aussi riche en informations et les gens le consultent en grand nombre, mais les visiteurs qui ont retrouvé la montagne préfèrent l’air pur, la paix et le merveilleux chaos de la forêt au bel ordre de l’ordi.
La vielle Bernadette est radieuse et continue à arpenter les sentiers et à piquer des jasettes avec les visiteurs.
Si vous sentez que votre ordi vous rend prisonnier et vous attire trop vers le virtuel, allez donc chercher un peu de liberté et de vérité dans la nature. C’est une vieille dame “hacker” qui vous le conseille.
Kees Vanderheyden
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